L’abus de dépendance économique

Découvrez le régime juridique de l’abus de dépendance économique : définition, critères, exemples et sanctions prévues.
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La notion juridique d’abus de dépendance économique s’inscrit dans le cadre du droit économique de la concurrence, s’agissant d’une pratique anticoncurrentielle appliquée dans les relations contractuelles B to B.

Contrairement aux autres pratiques anticoncurrentielles, telles que l’entente et l’abus de position dominante, celle-ci n’est pas prévue par le droit de la concurrence de la Commission Européenne au sein du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE).

Elle est uniquement sanctionnée par le droit interne des Etats membres de l’Union Européenne qui le décident.

En France, c’est l’Autorité de la concurrence qui joue le rôle de prévention et de répression des pratiques anticoncurrentielles pouvant avoir un impact considérable sur l’économie en ce qu’elles ont pour but de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.

Cette autorité administrative définit elle-même les abus de dépendance économique comme des « pratiques unilatérales émanant d’un opérateur qui exploite abusivement l’état de dépendance économique dans lequel se trouve l’un de ses clients ou fournisseurs. »

La pratique est prohibée par l’article L. 420-2 al.2 du Code de commerce :

« Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme.»

Le régime juridique

Une situation de dépendance économique

La situation de dépendance économique doit être appréciée au regard de quatre critères définis par l’Autorité de la concurrence dans deux hypothèses de dépendance appréciant soit la puissance de vente (exercée par le fournisseur) soit la puissance d’achat (exercée par le distributeur) de l’entreprise mise en cause.

Cette puissance est imposée sur le marché sur lequel s’exerce nécessairement le jeu de la concurrence, soit par le distributeur soit par le fournisseur dans le cadre des relations entre professionnels (B to B).

Les critères sont les suivants :

  • la part du fournisseur/distributeur dans le chiffre d’affaires du distributeur/fournisseur,
  • la notoriété de la marque ou de l’enseigne du fournisseur/distributeur,
  • l’importance de sa part dans le marché considéré,
  • l’absence de solution équivalente pour son ou ses partenaires (Cons. Conc. Déc. N°90-D-23 3 juillet 1990, société JVC Vidéo France ; Cons. conc. 11 sept. 2001, n° 01-D-42).

A noter : ce dernier critère a été supprimé par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 afin de faciliter la preuve de l’abus de dépendance économique mais il est parfois encore retenu par l’Autorité de la Concurrence et la Cour de Cassation.

Il est donc nécessaire de prouver que l’entreprise qui se dit dépendante ne dispose d’aucune solution alternative. Tel sera le cas de la « situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables » étant précisé que « la seule circonstance qu’un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d’un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l’article L. 420-2 du Code de commerce » (Cass. Com. 3 mars 2004, n° 02-14.529, SA Concurrence c/Sony).

L’influence des GAFAM qui ne cesse de croître sur les marchés économiques implique un risque important de placement des entreprises partenaires en situation de dépendance économique.

Une affaire récente illustre l’abus de puissance de vente de l’entreprise APPLE à l’égard de ses acheteurs professionnels : la présence de clauses d’exclusivité dans les contrats avait permis de prouver l’existence d’une situation de dépendance économique abusive car en tant que fournisseur, APPLE disposait de plusieurs distributeurs mais les distributeurs étant liés par l’exclusivité n’avaient qu’un seul fournisseur, ce qui les plaçaient ainsi en situation de dépendance économique. L’Autorité de la Concurrence a rendu une décision sans appel :

« Article 5 : Il est établi que les sociétés Apple France SARL, Apple Sales International, Apple Distribution International, Apple Europe Limited et Apple Operations Europe, en tant qu’auteures des pratiques, et Apple Inc., Apple Operations Europe et Apple Operations International, en leur qualité de sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, pour avoir mis en œuvre, de novembre 2009 à avril 2013, des pratiques visant à exploiter de manière abusive la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent les APR, en appliquant un ensemble de règles et de comportements qui restreignent de manière anormale l’activité de ces distributeurs »

(Aut. Conc. Déc. N°20-D-04 du 16 mars 2020, Apple)

Un abus de dépendance économique

Par ailleurs, il convient de prouver que l’entreprise mise en cause a exploité abusivement la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve son partenaire à son égard.

C’est le caractère abusif qui permet de sanctionner une pratique, lorsqu’il existe un lien de causalité entre la situation de dépendance économique et la pratique en cause.

L’article L420-2 alinéa 2 du Code de commerce liste de façon non-exhaustive les pratiques considérées comme abusives, par exemple :

  • des refus de vente,
  • des ventes liées,
  • des accords de gammes,
  • des pratiques discriminatoires (prévues aux articles L442-1 à L442-3 du Code de commerce).

Concrètement, il peut s’agir de pratiques d’éviction qui soumettent le partenaire commercial, comme le fait de rompre brutalement les relations commerciales établies, ou de pratiques liées à la présence de clauses abusives dans le contrat qui soumettent les parties à un déséquilibre significatif de leurs droits et obligations.

Une atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence

Une fois les deux conditions précédentes remplies, l’article L420-2 alinéa 2 du Code de commerce précise que l’abus de dépendance économique n’est sanctionnable que s’il a pour conséquence d’entraver la concurrence sur un marché.

Cette atteinte peut être réelle ou potentielle, mais en tout état de cause un lien de causalité doit être établi entre la situation de dépendance et l’atteinte à la concurrence.

Cette condition peut être difficile à satisfaire.

Pour illustration, voici ce qui a été retenu par l’Autorité de la concurrence dans l’affaire APPLE au titre de l’atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence (Aut. Conc. Déc. N°20-D-04 du 16 mars 2020, Apple) :

« 1119. Il apparaît que les pratiques d’abus susvisées ont limité l’autonomie et la liberté commerciale des APR, dans des proportions excessives. Tenus dans l’incertitude sur les quantités livrées et les remises d’Apple, les APR ne pouvaient avoir une appréhension globale de leur situation commerciale. Cette incertitude a nécessairement affaibli leur capacité à exercer une pression concurrentielle sur les autres distributeurs d’Apple, tels que les « Retailers », ou les « Apple Stores » ou encore l’ « Apple Online Store » et ainsi, une concurrence effective dans la distribution de produits de marque Apple. »

« 1139.Il en est résulté, par rapport aux autres fabricants de produits concurrents, un avantage dans la concurrence, susceptible de fausser la concurrence intermarque. »


« 1140. Il résulte de ce qui précède que les comportements reprochés à Apple, en restreignant de manière abusive l’activité des APR et en affectant le fonctionnement de la concurrence, sont constitutifs d’une pratique anticoncurrentielle en application du second alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce. »

Les sanctions

Les sanctions prononcées par l’Autorité de la Concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles sont prévues par l’article L. 464-2 du Code de commerce.

Elles poursuivent un double objectif : sanctionner le comportement de l’entreprise en cause et dissuader les autres entreprises de mettre en œuvre de telles pratiques.

Il s’agit d’injonctions ou de sanctions financières dont le montant correspond au maximum à 10% du montant du chiffre annuel mondial réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

En outre, en vertu de l’article L420-6 du Code de commerce, les juridictions pénales peuvent condamner au titre de l’abus de dépendance économique toute personne physique qui aura pris « une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-2. »

Par ailleurs les juridictions civiles peuvent également condamner ces pratiques dans le cas où les critères de l’abus de dépendance économique ne peuvent être tous satisfaits, notamment le critère d’atteinte à la concurrence.

La pratique en elle-même restera sanctionnable sur le plan civil, notamment sur le fondement de la violence économique pour faire annuler un contrat (article 1143 du Code civil), le droit de la concurrence déloyale, le droit des contrats, le droit de la resaponsabilité ou le droit commercial ontamment en présence d’une rupture abusive des relations commerciales.

Conclusion

Le cabinet de Marie CHAMFEUIL vous accompagne en cas de pratiques anticoncurrentielles et plus globalement dans le cadre de vos relations commerciales avec vos partenaires/fournisseurs. Son accompagnement s’étend à toutes les pratiques contractuelles déloyales ainsi qu’à la rupture abusive des relations commerciales.

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